Devenir sensible à la profondeur de nos expériences
Message pour les volontaires bénévoles du Grand Kiff
PRÉDICATION
Luc-Olivier Bosset
7/31/20256 min read
1.
Pour ce recueillement du matin, ce God Morning, je vous propose de laisser résonner la question qui est au cœur de la rencontre entre Philippe et l’eunuque éthiopien. «Comprends-tu ce que tu lis ? » (Ac 8,30). Une question que nous pourrions paraphraser de la manière suivante si nous voulons être fidèles au jeux de mots qui existe en grec : « Est-ce que tu connais ce que tu reconnais (par ta lecture) ? » ou bien « Est-ce que tu entends ce que le texte donne à entendre ? »
Alors que nous arrivons à la fin du Grand Kiff, ce questionnement nous ramène à l’essentiel.
Il y a quelques mois, vous avez répondu « oui » à l’invitation de participer à l’Alter-Kiff, de donner plusieurs semaines de ton temps pour aider à la musique, à l’organisation, à la logistique de cet événement qui a rassemblé plus de 700 jeunes. Maintenant, le Grand Kiff se termine. Les semaines intenses au service vous ont fait vivre des hauts et des bas, des moments forts de partage et de solidarité, mais aussi des moments de fatigue et d’agacement lorsque les sollicitations se multipliaient, voire parfois se contredisaient. Ce que vous avez vécu pendant votre service vous permet-il aujourd'hui de mieux entendre ce que votre « oui » initial donnait à entendre ?
Car l’essentiel est là : avancer dans la vie en tirant des bonnes et mauvaises expériences une plus grande sensibilité à la richesse et la profondeur de l’existence.
Pour y arriver, il est bon d’être accompagné, comme le fut l’eunuque éthiopien par Philippe sur une route déserte allant de Jérusalem à Gaza. Sur nos route, nous aussi, nous apprenons progressivement à mieux entendre ce que la vie nous donne à entendre lorsque nous sommes soutenus par une présence bienveillante et attentive.
2.
Sur ce camp, dans une journée, nous faisons beaucoup expériences. Nous rencontrons des personnes venant du Sénégal, de Nouvelle Calédonie, de Norvège, d’Italie, de Colombie, et bien sûr de différentes régions de France. Nous discutons, blaguons, jouons, chantons, dansons, prions, écoutons. Tard dans la nuit, nous nous endormons épuisés, mais heureux d’avoir vécu des heures aussi bien remplies.
Plus tard, lorsque nous nous retrouverons seuls dans le train ou dans notre chambre, nous repenserons à ce que nous avons vécu. À ce moment-là, nous réaliserons plus finement la valeur de ce qui a été partagé. Sur le moment, nous l’avions entraperçu, nous avions senti que c’était important et cela nous avait ému. Mais là, dans la solitude et le silence, en revoyant les photos sur les réseaux sociaux, l’émotion sera plus vibrante et profonde.
Dans le récit biblique, il nous est dit que l’eunuque, un haut fonctionnaire de la reine Candace, revient de Jérusalem. Après la grande cohue de la ville, il se trouve seul sur son char. Pour lui aussi, le contraste a dû être grand entre l'agitation fervente sur le parvis du temple du mont Sion où chacun adorait avec ferveur Adonaï dans sa langue maternelle et le calme solitaire de cette route déserte où il se trouve à présent. Habité et porté par ce qu’il a découvert à Jérusalem, l’eunuque lit avec une curiosité renouvelée la Bible. Verset par verset, il déguste ces Écritures. Chaque métaphore suscite en lui une calme réflexion. Il savoure le désir de Dieu exprimé au travers de ces mots.
Cependant, à un moment donné, il bute sur une phrase. Plus il la lit, plus cette phrase le rend triste. « Dans son abaissement son droit a été enlevé. Qui racontera sa génération, car sa vie sera enlevée de la terre ? » (Ac 8,33). Cette phrase se trouve dans le livre du prophète Esaïe. Elle parle du serviteur souffrant dont la vie a été injustement radiée de terre. Le haut fonctionnaire la lit attentivement, car cette situation provoque un écho intime en lui. Comme le serviteur souffrant, lui aussi en tant qu’eunuque a vu son droit d’avoir une descendance être enlevé. Ce qu’il entend dans ce verset le rend triste. Il n’y perçoit que la confirmation de l’humiliation de ceux dont le droit a été bafoué. Une fois leurs vies enlevées, personne ne s’en souvient et le monde continue à fonctionner de manière injuste sans aucun égard pour elles.
En le rejoignant sur le char, Philippe donne à l’eunuque l’occasion d’entendre une autre signification du texte. En effet, le verbe traduit ici par « enlever » signifie aussi en grec « élever ». C’est la raison pour laquelle, il est tout à fait possible de lire cette phrase de la manière suivante : « Dans son abaissement son droit a été élevé. Qui racontera sa génération, car sa vie sera élevée de la terre ? » Au lieu d’une injustice qui perdure, cette phrase donne ainsi à entendre un redressement dynamique. Le texte ne dit pas que le serviteur s’élève en trouvant par lui-même les forces pour se redresser. Bien plus, il souligne que ce serviteur est élevé. Le mouvement d’élévation vient de plus loin que lui-même, il vient de Dieu. Ce retournement exprime bien l’agir divin lors de la résurrection de Jésus : celui qui a été humilié et enlevé par les humains est élevé par Dieu. Grâce à Philippe, l’eunuque entend donc une promesse de vie là où dans le texte, il ne percevait que désolation. Leur conversation transforme sa tristesse en joie.
Sur vos chemins de retour, lorsque vous vous retrouverez seuls à regarder avec émotion et nostalgie les photos et les vidéos du Grand Kiff, je vous souhaite d’être rencontrés par des Philippe qui vous aident à percevoir dans la trame de vos existences l’agir résurrectionnel de Dieu.
Hier, comme aujourd’hui et demain, Dieu est présent sur nos routes. Il nous accompagne. Là où nos points d’appuis nous sont enlevés, Il travaille inlassablement jusqu’à ce que nous soyons élevés. Lorsque des obstacles nous font trébucher, Il n’exige pas que nous nous redressions. Il nous rejoint dans la poussière afin que nous puissions prendre appuis sur Lui pour être élevés.
Durant le Grand Kiff, cette bonne nouvelle a été donnée à entendre. À présent, continuez votre route et retrouvez sa saveur en vivant votre quotidien !
Comment dans ce quotidien reconnaître la signature du travail de Dieu ?
Si au cours d’un partage bienveillant, votre tristesse se transforme en joie, n’hésitez pas. Arrêtez-vous, prenez le temps de réfléchir et de prier afin de goûter et entendre ce qui vous est donné d’entendre
Philippe et le haut fonctionnaire éthiopien
L'ange du Seigneur dit à Philippe : Va vers le sud, sur le chemin qui descend de Jérusalem à Gaza, dans le désert. Il se leva et partit.
Or un Ethiopien, un eunuque, haut fonctionnaire de Candace, la reine des Ethiopiens, et responsable de tous ses trésors, était venu à Jérusalem pour adorer, et il s'en retournait, assis sur son char, en lisant à haute voix le Prophète Esaïe.
L'Esprit dit à Philippe : Avance et rejoins ce char. Philippe accourut et entendit l'Ethiopien qui lisait le Prophète Esaïe. Il lui dit : Comprends-tu ce que tu lis ? Il répondit : Comment le pourrais-je, si personne ne me guide ? Et il invita Philippe à monter s'asseoir avec lui.
Le passage de l'Écriture qu'il lisait était celui-ci : « Il a été mené comme un mouton à l'abattoir ;et, comme un agneau muet devant celui qui le tond, il n'ouvre pas la bouche. Dans son abaissement, son droit a été enlevé ; et sa génération, qui la racontera ? Car sa vie est enlevée de la terre. »
L'eunuque demanda à Philippe : Je te prie, de qui le prophète dit-il cela ? De lui-même ou de quelqu'un d'autre ? Alors Philippe prit la parole et, commençant par cette Écriture, il lui annonça la bonne nouvelle de Jésus. Comme ils continuaient leur chemin, ils arrivèrent à un point d'eau. L'eunuque dit : Voici de l'eau ; qu'est-ce qui m'empêche de recevoir le baptême ? [ ] Il ordonna d'arrêter le char ; tous deux descendirent dans l'eau, Philippe ainsi que l'eunuque, et il le baptisa. Quand ils furent remontés de l'eau, l'Esprit du Seigneur enleva Philippe. L'eunuque ne le vit plus : il poursuivait son chemin, tout joyeux. Quant à Philippe, il se retrouva à Azoth ; il annonçait la bonne nouvelle dans toutes les villes où il passait, jusqu'à son arrivée à Césarée.
Actes 8, 26-40 (NBS)

le Grand Kiff est le rassemblement jeunesse organisé par l'Église protestante unie de France. En 2025, il a eu lieu du 25 au 29 juillet sur le site de la Fondation John Bost à La Force en Dordogne. https://www.legrandkiff.org/
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"Notre tâche est de nous imprégner si profondément, si douloureusement et si passionnément de cette terre provisoire et éphémère, que son essence ressuscite en nous, invisible.
Nous sommes les abeilles de l’invisible. Nous butinons éperdument le miel du visible, pour le recueillir dans la grande ruche d'or de l'invisible."
Lettre à Witold VON HULEWICZ (13 novembre 1925), Correspondances de Rainer-Maria RILKE